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D’après François Truffaut, un chef d’oeuvre doit avoir des caractéristiques particulières… Une des plus importantes consiste en l’existence d’un don du metteur en scène à son film. Pour lui, on doit pouvoir ressentir derrière chaque scène, l’ommniprésence du metteur en scène. Il n’existe pas de film regroupant autant le fait précedemment décrit que Fanny et Alexandre. Nous nous interrogerons donc sur ce qui fait de « Fanny et Alexandre » un don personnel de Bergman, comme un enfant.

I) Un film sur l’enfance et la vieillesse

  • Bien qu’ Alexandre partage la vedette avec sa soeur Fanny sur le titre du film, il est inévitablement certain qu’il en est le personnage principal. En effet, tout au long du film c’est finalement le regard d’Alexandre qui sera le plus exploité. Bergman délivre à travers son personnage une idée de l’enfance simple et complexe à la fois. Durant le film, Alexandre se montre obeissant et désobeissant, il se montre heureux et malheureux, curieux et lassé, respectueux et méprisant ou même têtu et lunatique. Il est heureux de recevoir ses cadeaux pour noël (comme généralement tous les enfants) et s’amuse sans complexe du « feu d’artifices » de l’oncle Carl. Il ne pense pas à la mort, ou du moins à la sienne. l’omniprésence des horloges dans la maison ne lui fait pas peur (son caractère est parfaitement résumé dans la scène d’ouverture).
  • Sa soeur, quant à elle, a une personnalité beaucoup moins affirmée. Fanny est beaucoup plus timide et parle peu. Elle est beaucoup plus influençable que son frère, certainement à cause de la différence d’âge. A l’inverse d’Alexandre, personne ne s’acharne contre elle.
  • Les deux enfants ont donc des caractères plutôt très différents, cependant cela ne les empêche pas de s’aimer au fond d’eux mêmes.

Ce qui finalement entre en opposition avec l’enfance et son innocence attitrée c’est cette vieillesse pesante. En effet, après la scène de la fête de noël, un à un les personnages pensent à la mort. Héléna la première tente de parler d’autre chose mais fond en larmes à chaque fois que l’idée de la mort lui revient. Oscar, le père de Fanny et Alexandre, se montre nerveux dès le début de la fête. L’oncle Carl pleure également le soir dans son lit au coté de sa femme comme un enfant et Gustav Adolf perd son désir pour la nourrice à cause d’une blague sur son âge. Cette opposition dès le début du film est frappante. La scène de Noel ressemble finalement beaucoup à la fête présente dans la règle du jeu. Les passions se déchainent de tous les côtés, les personnages courrent, les hommes se lâchent (Gustav Adolf saute sur la nourrice et Carl se livre à un « feu d’artifices »). La profondeur de champ, parfaitement exploitée, rend davantage l’image vivante (comme dans la règle du jeu).

II) Un film autobiographique

Bergman, fils de pasteur, a toujours méprisé profondément la religion. Cela se retrouve dans le film à plusieurs endroits. On peut le voir dans la scène de l’enterrement où il balance toutes sortes de grossiéretés. On peut également le voir dans la scène du mariage entre sa mère et le pasteur où celui ci se jète sur une table. Mais l’image la plus frappante reste celle du beau père, ce pasteur violent et détestable qui va conduire Alexandre à détester la religion Chrétienne (Ce mépris est poussé encore plus loin. c’est un Juif qui vient délivrer les enfants du pasteur).

2) L’amour du théâtre

  • Comme l’exprime le très beau et sincère discours d’Oscar au début du film, le théâtre est un monde à part ; un monde meilleur. Il essaye de lutter contre le monde extérieur, parfois il y arrive, parfois l’échec est important. Le théâtre perd finalement toujours puisque Oscar meurt pendant qu’il jouait.
  • Le théâtre est présenté comme un décor de fond, un bonheur inaccessible. Alexandre lit une pièce dans son lit, le pasteur lui saisit des mains violemment.
  • Il y’a également cette scène incroyable où Dieu apparait devant Alexandre, le terrorise et le contraint même à demander si il est sur le point de mourir. Finalement le Dieu en question n’est qu’une marionnette issue du théâtre de marionnettes.
  • C’est également le théâtre qui finira le film. un extrait de la pièce « Le songe » de Strindberg. En effet le film se termine ainsi. « Tout peut arriver, tout est possible et probable. Le temps et l’espace n’existent pas. Sur un fragile tissu de réalité notre imagination tisse de nouveaux modèles. » Encore un bel hommage au théâtre avec cette définition qui vient donc conclure le film.
  • Bergman pousse encore plus loin ses relations avec le théâtre. le vrai père d’Alexandre est l’acteur (Oscar), le pasteur n’est que son beau-père.

Il existe de nombreux détails qui montrent de nombreux points communs entre l’enfance de Bergman et celle d’Alexandre :

  • Tout d’abord Bergman adorait August Strindberg, pas étonnant que les personnages parlent du « Songe » pendant le film.
  • Bergman avait également un oncle prénommé Carl ou Karl, il avait même des problèmes de vessie et autres…
  • La scène où Alexandre joue un avec un projecteur et raconte des histoires est inspirée de l’enfance de Bergman (Voir « Laterna Magica »).
  • Les coups donnés par le pasteur font allusion à ceux de son père.
  • La faiblesse de la mère d’Alexandre semble héritée de celle de sa propre mère.
  • Le père de Bergman le frappait souvent parcequ’il mentait.
  • La proximité entre Alexandre et sa nourrice (Bergman en était amoureux).-La difficulté de communication avec sa soeur est visible dans « Fanny et Alexandre », les deux enfants ne parlent que rarement ensemble.

III) Bergman. le libre rêveur ?

Comme il le disait dans « Laterna Magica », Bergman ne croyait pas en son talent. Il admirait Bunuel, Tarkovski et Fellini qu’il considérait comme des libres rêveurs. Lui était un rêveur tourmenté, déçu de la plus grande partie de ses films et de ses mises en scène au théâtre. Cependant personne ne pourra le nier :son oeuvre est impressionnante, chacun de ses films raconte une partie de sa vie. « Cris et chuchottement » une crise, « Sarabande » l’épanouissement, « Le septième sceau » la mort, « Persona » le conflit avec soi même, « Jeux d’été » la nostalgie, « la source » le dégoût de la religion et la liste est encore très longue.

2) Une symphonie faite de rires et de pleurs

Comme dans « La règle du jeu » de Jean Renoir, on pourrait qualifier Fanny et Alexandre de Drame gai. On rit parfois des personnages, que ce soit pour leur exentricité (Gustav Adolf) où leur ridicule. Mais on peut pleurer également à la vue de ces plans des enfants d’une extrême tristesse et une extrême complexité.

Au final quelle est la différence entre « Fanny et Alexandre » et les autres films de Bergman? C’est la complexité des émotions et des sentiments. Bergman donne tout son être dans son film, pas uniquement sa joie comme dans certains de ses films, pas seulement sa tristesse ou sa peur de la mort. il combine tout créant ainsi une symphonie d’une extrême beauté et d’un complexité certaine. On ne pourra jamais analyser le film entièrement, il y’a tellement à dire. Derrière chaque plan se cache Bergman et cela se ressent. on ressent toutes ses émotions de la joie à la peine. Il habite son film,il n’a certainement rien laissé au hasard. Le rêveur tourmenté est devenu un libre rêveur, capable de tout mélanger, de tout combiner pour créer un rêve d’une beauté innouie. Une expérience cinématographique rarement égalée. Bergman disait vivre pour les rares moments où la fiction dépasse la réalité, de ce point de vue là Fanny et Alexandre est un immense chef d’oeuvre.

Ma note pour ce film. 18.6/20